Sens & Tonka
JE VOIS DES PIEDS
“À mon réveil il ne fait pas encore jour. Le trottoir donne une certaine légèreté au sommeil. Le moteur des véhicules devient peu à peu mélodieux, mais les rires et hurlements incessants achèvent la douceur du rêve. Le bitume et sa réalité aux émanations d’urine séchée, se chargent de me tenir éveillé. À cinq heures du matin, le carton et son parfum puant me rendent malade. Mon odeur mêlée aux effluves du carton, en produit une troisième, insoutenable. Je me lève et marche. Alors que le jour point, d’autres dorment, usant les mêmes cartons fétides, les mêmes pieds les effleurent, les mêmes yeux les offensent. Je suis seul à les observer, seul à les percevoir.”
LE POINT NODAL
« Poing fermé comme un nœud gordien, des affres et âmes – secouées de ressac – aller venir, aller venir – écrire comme on boxe, point et poings liés pour assener l’uppercut d’un désespoir de cause – certains s’y frottent avec délectation, de frapper, d’éructer, et s’enroulent le nœud autour de la gorge serrée – les larmes jamais n’ont coulé. » L. C.
VIVE MOI !!
Le récit développe au passé et au présent les complexités de l’amour-haine qui existe dans la plupart des familles. Le ton est à l’humour noir, au duel cruel de la (sur)vie ou de la mort, grandes questions abordées sur un mode familier, où l’amour n’est jamais exclu. La réalité des riens qui font tout et, « en tout état de cause, il faut faire avec. » « Une véritable énigme, elle a disparu comme ça d’un claquement de doigts sans rien dire à personne, de quoi rendre fou furieux tout son entourage ! » « Un sentiment de tristesse nous envahit, la laisser comme ça, sous la pluie glacée, à ciel ouvert. À ciel ouvert? sur un pot de confiture d’abricot, dans un magasin, j’ai vu inscrit sur l’étiquette “cuite à ciel ouvert”, elle aussi elle est cuite, et à ciel ouvert, pour la dernière nuit. Les mêmes mots, pour les hommes et la confiture.»
SURRÉALISME OU LE SURRÉALISME INTROUVABLE
Que restera-t-il du surréalisme dans la culture de l'avenir ? Une mixture de toutes les expériences artistiques d'avant-garde menées par des non-conformistes de génie un instant dévoyés dans la politique ! Expositions, manuels d'histoire littéraire dispensent déjà cette leçon unique, sous la férule d'intellectuels d'autant plus friands de vaines polémiques qu'ils sont tous tributaires du même surréalisme réellement existant. Il existe pourtant une autre idée du surréalisme, qui porte jusqu'à nous la volonté de rupture dont le mouvement fit jadis son credo éthique et que résument aujourd'hui deux questions complémentaires : cette imitation frelatée de la révolte surréaliste, comment a-t-elle pu imprégner toute l'esthétique de notre époque ? Pourquoi la feinte-dissidence culturelle se place-t-elle si facilement sous ce signe ? Y répondre, c'est parler de la révolution surréaliste au présent. On la retrouve ici à sa vraie place et avec de nouvelles raisons d'être parmi nous.
LE GÉNIE DU TROUPEAU
“Sans doute, sous d’autres cieux, à Tahiti ou en une paisible Arcadie, paissait le troupeau humain, conduit par quelque pasteur divin. On peut en rêver, tout en lisant ‘Le Politique’ de Platon ou ‘Les Immémoriaux’ de Victor Segalen. Ou plus exactement, nul besoin de rêver. Nous y sommes de plain-pied. L’ancien mythe se réactualise sous nos yeux. D’abord, la démocratie, en égalisant les droits des hommes, réalise la condition du troupeau. Ensuite, le capitalisme mondial, en alimentant six milliards de bouches, subvient aux besoins des populations. Sans compter l’humanitaire sanitaire, qui veille sur les plaies et les bosses. Enfin, et c’est là le vrai miracle, le bonheur de la multitude est assuré puisque les individus du grand nombre sont tous sans exception des génies.”
LE MOULIN DE JERRY
Jean Guizerix, en son temps danseur étoile, puis maître de ballet à l’Opéra de Paris, est invité, en 1992 et en 1995, par Jérôme Robbins, le chorégraphe new yorkais de West Side Story, pour interpréter Watermill (Le Moulin) avec le New York City Ballet. La trace de cette expérience est ce Moulin de Jerry…
VIDE-POCHES
1. « Blanchard (d’après le Darmesteter) : – toile blanche et légère de fil plat, qu’on fabrique en Normandie ; – grosse espèce d’aigle autour, qu’on trouve au Cap de Bonne Espérance ; – herbe vivace, dite aussi houque laineuse, qui croît dans les prairies naturelles et donne un bon fourrage. » 2. « Entre l’armure d’un texte et l’armure de son auteur, la Littérature, hélas. » 3. « Sur tout écrit d’un inconnu, ses premiers lecteurs jettent d’abord un regard défavorable. Son auteur est présumé coupable. Tout ce qu’il écrit peut être retenu contre lui, et seulement contre lui. L’acharnement à travailler et à publier, la multiplication des actes délictueux, des pièces à conviction et donc des chefs d’inculpation possibles visent ce miracle : obtenir la présomption d’innocence. Et il arrive qu’on l’obtienne. Mais comme il s’agit d’un miracle, très vite un culte s’instaure. »
NETWAR
- Christian Vanderborght avec Éric Ouzounian -
« L’accessibilité immédiate d’un point distant de l’espace et du temps grâce aux médias numériques oblige la conscience à une gymnastique mentale autre que celle de la représentation aristotélicienne. L’articulation ne joue plus entre le pouvoir de représentation et la sacralisation de l’objet fini mais entre le pouvoir de présence et le processus de perception. Aujourd’hui, l’art se joue à décliner le processus de présence sur tous les modes de perceptions et non plus à élaborer des formes sur tous les modes de représentations. La notion égotiste de l’homme solitaire, tentant de maîtriser le monde (the Winner), fait place à la notion tangente de l’homme interfacé, joueur blasé d’un monde virtuel (the Joker). Nous sommes passés de l’angoisse existentialiste de l’être au trac illusionniste de la participation. À moins qu’il ne fasse revoir les règles théoriques qui nous animent. » Ch. V. & R. O.
CENT HUIT RUES GABRIEL-PERI
« Les hasards d’une lecture qui faisait de la rue Gabriel-Péri l’épicentre de nulle part, m’ont incité à rendre visite à ce lieu. J’ai découvert alors que la rue Gabriel-Péri était partout ou presque et qu’elle valait le déplacement, ce qui dura près de dix ans. » A. V.
EFFETS INDÉSIRABLES
Mon Vieux et Mon Vieux, une fille et un garçon soudés par une amitié amoureuse qui perdure bien au-delà de leur enfance commune.
Entre eux, un dialogue. Cette fois c'est lui qui amorce : elle écrit ? Elle doit trouver sa place. De ces paroles à peine formulées, apparemment presque anodines, émerge une idée, pour elle, totalement saugrenue : entrer dans le système actuel de la consommation en tout genre, concéder à la mode égotiste du moment et monter de toutes pièces un roman où elle se raconte dans une enfance sordide vécue au sein d'une famille abominable.
Elle répond, d'abord méfiante et révoltée, à la proposition – la gloire elle s'en fout, “j'écris des mots, c'est tout” –, puis peu à peu dans la démesure, flambeuse se jouant toujours, et malgré elle, des contradictions faisant suite aux provocations et aux complicités des jeux enfantins qui furent les leurs.
Avances, reculs, circonvolutions, un point qui rit un point qui pleure entrelacés dans le tricotage des sentiments, les pions évoluent sur le tapis rugueux d'un jeu de société qui les pousse aux extrêmes de leur ambiguïté et des complexités relatives à certains états de la vie.