Architecture
Techniques et humanisme
L’humanisme est issu de l’hospitalité, une vertu née avant le langage. Le langage nous trahit : la mécanisation nous a tellement infestés que nous n’avons plus de vocabulaire humaniste : nous nous servons tous les jours de termes rationnels non-humains. L’urbanisme quotidien est confié aux services techniques, jamais à “l’humanitaire”... Ainsi, dorénavant, nous parlons le jargon technique : réseaux (une écologie pourtant) on comprend “géométrie disciplinaire”. Rue, une forme de communication humaine avant tout, elle est devenue voirie, une technique de la construction rationnelle.
La place moderne est devenue un instrument commercial ; cette piazza, que les grandes surfaces réservent, n’est qu’un accessoire utilitaire pour la vente, elle n’a aucune valeur humanitaire de rencontre. Nous sommes piégés par le vocabulaire “vendu” de la mécanisation... langage qui en retour nous mécanise dans la servitude, dans l’automatisme confortable.
Tout est paysage
Tout est paysage de Lucien et Simone Kroll
Première édition : automne 2001.
Édition revue et augmentée en 2012, un deuxième tirage de cette édition paraît au printemps 2022.
Textes et photographies, de Lucien Kroll, qui, fidèle à sa théorie, poursuit sa pensée d’une vision humaine et globale du paysage de l’architecture s’opposant à la démonstration du seul objet architectural qui, ainsi que le prônait le mouvement, dit moderne, ne peut plus se soumettre à ses propres fantasmes mais, au contraire, se doit de rejoindre son essence : faire habiter, accueillir l’existence des « résidents », et développer les économies durables afin de développer
les nouveaux conforts « climatiques ».
Simone Kroll y ajoutera la poésie et le charme de quelques-unes de ses "flores" [extraits].
"Mes propositions s'inscrivent dans un courant social (ou politique) visant tranquillement l'écologie. Elles contiennent mon refus fondamental de l'agressivité industrielle, ma culpabilité devant l'irrespect pour les autres cultures et pour les économies spontanées ou locales et mon ambition d'aider une société à démontrer ses compexités à travers son paysage urbain." L.K.
JEAN-PAUL JUNGMANN PAR LUI-MÊME
Un très bel ouvrage de 1452 dessins de l'architecte Jean-Paul Jungmann
“Comme tout artiste, un architecte dessine pour plusieurs raisons :
Le dessin est un aide-mémoire ; il permet d’exercer la coordination entre la main et l’œil ; il facilite la compréhension de structures complexes, naturelles ou artificielles.
Comprendre c’est dessiner ; le dessin est une manière de penser.
Mais le dessin architectural a un statut particulier. Chaque représentation architecturale se situe de part et d’autre d’un éventail entre idée et construction. [...] Le renouveau d’intérêt pour les dessins utopiques comme l’atteste le livre de Ulrich Conrads et Hans Sperlich publié en 1960 ‘Phantastische Architektur’, forme une partie du contexte qui permet de saisir les travaux de l’architecte-dessinateur Jean-Paul Jungmann et de ses compagnons qui, eux aussi, dans les années 1960-1970, ont essayé de marier la théorie et le dessin pour déstabiliser le modernisme institutionnalisé de l’époque.” (Tim Benton et Caroline Maniaque)
BLOBS
Le blob ? Qu’est-ce que c’est ?
Une fonction sur les logiciels de modélisation que commencent à utiliser les architectes au milieu des années quatre-vingt-dix ; et bientôt, le nom que prennent les architectures les plus en vue de cette nouvelle ère numérique : étranges bulles ou cocons déformés... Mais le blob, depuis 1958, est aussi cette gelée rosacée fondant depuis l’espace sur les citoyens horrifiés de Phoenixville et d’ailleurs. Et de cette calamité, qui faillit emporter Steve McQueen dès ses débuts, tous se souviennent.
Il y a une énigme du blob :
Pourquoi une révolution architecturale irait-elle trouver ses modèles dans les films d’horreur de série B ? Et un enjeu : penser l’architecture non plus en fonction de schémas techniques simplifiés, mais dans une perspective médiatique où l’informatique renouvelle les conditions de dessin, de production mais aussi, et plus largement, la sphère sociale elle-même comme l’imaginaire commun, réinventés par les réseaux et la déterritorialisation.
Avec, au bout du voyage, ce qui pourrait bien apparaître comme l’icône parfaite, et terrifiante, de l’espace
néo-libéral : LE BLOB.
LE VIVANT UNIQUE CONTINENT
« Je vous écris depuis Pangaea, La Pangée, depuis le Vivant unique continent en ère Stupidocène
Altera Alter
Chère Greta enfants jeunes les nouvelles et nouveaux arrivés en planète aujourd’hui invivable encore tout retournés tout à fait éveillés qui poussent comprennent étendue des dégâts se lèvent refusent ce monde ensemble sifflons : Fin de partie pour tous les prédateurs traîtres au milieu de vie et à l’humanité »
Cette lettre aux allures de manifeste et de chant
s’adresse aux bientôt huit milliards d’Humains du jardin planétaire prêts à habiter écologiquement et poétiquement la Terre et aux Voyantes-Voyants — artistes, chercheurs, scientifiques, penseurs, porteurs d’eau et d’air — qui jardinent la vie autrement et renouvellent le monde.
PENSER CONTRE
Selon Patrice Vermeren, Horacio Gonzalez a conceptualisé le geste d’auteur et d’éditeur de Miguel Abensour comme un « processus de libération des textes ». Il s’agit moins pour lui, dit H. Gonzalez, de théoriser sur l’utopie que de l’invoquer avec des textes propitiatoires afin de discerner ses mécanismes et son fonctionnement. Il s’agit de lire Abensour lisant ou éditant des textes oubliés ou retrouvant le fil conceptuel perdu d’autres textes, non pas en tant qu’il en proposerait une interprétation nouvelle qui donnerait matière à légitimer le dispositif spéculatif de son propre système philosophique qu’il chercherait à nous imposer, mais en ceci qu’il nous incite à penser par nous-mêmes avec lui. Soit la dimension d’une nouvelle exigence de la pensée, qui déplace la question de son rapport au politique.
« Abensour était un homme de l’égalité, un homme du conflit pour mieux établir un lien d’égalité. Dans n’importe quel entretien qu’il vous accordait, il s’arrangeait toujours pour rétablir l’égalité, vous poser une question, vous dire qu’il ne connaissait pas telle référence à laquelle vous aviez fait allusion, tandis que c’est vous qui étiez demandeur de ses références et de ses réflexions. Il récusait le paradigme de l’ordre pour celui du lien, tant dans les rencontres individuelles que dans la communauté politique. C’était son côté spinoziste : plutôt qu’un pouvoir sur les hommes, valoriser un pouvoir entre les hommes et avec les hommes, parce qu’il augmente la puissance d’agir. « Qu’est-ce qu’une bonne rencontre, à l’opposé du malencontre, sinon l’événement heureux où se forme entre les hommes un nouveau lien, un nouveau tissu relationnel tel que ce tissu augmente aussitôt la puissance collective d’agir, la puissance d’agir de concert ? ».
P. V.
“Qu’est-ce qu’une bonne rencontre, à l’opposé du malencontre, sinon l’événement heureux où se forme entre les hommes un nouveau lien, un nouveau tissu relationnel tel que ce tissu augmente aussitôt la puissance collective d’agir, la puissance d’agir de concert ?”
M. A.
PRISMES Théorie critique * Volume 2/2019
- Membre du comité Prismes : Katia Genel, Anne Kupiec, Gilles Moutot, Géraldine Muhlmann -
Contenu du volume 2/2019 :
Contributions
Antonin Wiser, Les mains de Benjamin
Efi Plexousaki, Les tournements de la “crise des réfugiés”
à Lesbos : terrains de conflits, dynamiques de cohabitation (2015-2018)
Sylwia Chrostowska, L’utopie dans la théorie critique
contemporaine
Benjamin Torterat, Poésie et perspectives d’émancipations
Montage
The Prophets of Deceit, Leo Löwenthal, Norbert Gutermann
Précédé d’une introduction de Katia Genel, L’agitateur, un révélateur des tendances latentes de la société moderne
Minima moralia
Géraldine Muhlmann, Emmanuel Macron et “l’esprit de conquête”
Lectures
La Démocratie contre les experts de Paulin Ismard par Véronique Moutot-Narcisse
L’Homme superflu de Patrick Vassort par Anne Kupiec
Le Blanc
« Je ne me serais pas intéressé au blanc s’il n’apparaissait constamment comme une anomalie du paysage, tantôt le valorisant, tantôt le dégradant.
" Dans la nature, le blanc n’existe pas ". Assertion frappante. Je la tiens de Bernard Lassus, alors enseignant en art plastique à l’École du paysage de Versailles.
Elle contenait un défi : Si vous ouvrez les yeux, vous verrez, le blanc n’existe pas, enfin pas comme on l’entend, ou alors c’est une exception. À vous de démontrer le contraire. Cela n’était pas dit mais sous-entendu et suffisait pour capter l’attention vers cette affaire apparemment minime du paysage.
Il n’existe pas de blanc au sens nettoyant du terme (laver plus blanc). C’est une chance. Mais il existe une infinité de tons clairs, répartis sur les supports les plus divers. On peut en établir une liste. Elle se présente dans l’ordre alphabétique des catégories identitaires du blanc dans le paysage d’aujourd’hui.
D’une manière ou d’une autre, les composantes inertes du paysage se trouvent liées au vivant en tant que système mais il arrive qu’on les perçoive pour elles-mêmes sans identifier les êtres auxquels elles se trouvent associées : une plage de sable blanc, une cime enneigée, une falaise de craie.
Le blanc intervient alors de façon massive, occupant tout le regard et, même s’il s’agit d’un phénomène temporaire – le ciel, l’écume, la neige – il peut identifier un territoire durablement. » G. C.
L'Écart absolu : Miguel Abensour
Gilles Labelle est professeur à l’Université d’Ottawa (Canada) depuis 1993 où il enseigne la pensée politique à l’École d’Études politiques. Il est aussi membre du comité directeur d’un centre de recherche (le CIRCEM) à la même université, où il dirige un axe consacré aux « fondements du politique ».
De la collection de Miguel Abensour :
La collection “Miguel Abensour” se créa du vivant de l’auteur.
Par modestie, il nous avait demandé de la suspendre et de publier ses textes dans les collections traditionnelles de nos éditions, à une exception près : la série des Utopiques (I, II, III, IV).
Nous étions alors convenu, selon sa volonté dès lors maintenue par ses héritiers, qu'après sa disparition nous continuerions de constituer un “fonds Abensour”, que nous préférons nommer “Collection”, dont la mission est de poursuivre, ainsi que l’auteur les avait conçus ou envisagés, la publication des inédits, de même que d’opérer les regroupements.
En aucun cas il ne s'agit d'une “œuvre complète”, mais simplement d'une “œuvre” utile afin que sa pensée se prolonge en d’autres...
L’ouvrage de Gilles Labelle,
L'Écart absolu : Miguel Abensour,
est le premier.
"Pourquoi “l’écart absolu” ? Pourquoi “écart”, et pourquoi “absolu” ? “Écart”, d’abord, par rapport à quoi ? Une “pensée libre” entendue en ce sens est ou n’est pas – elle ne peut se tenir que dans un écart “absolu” avec le réel existant. Pour Miguel Abensour, l’enjeu de toute pensée critique consistait à se situer à distance des “lignes culturelles et politiques” qui orientent et organisent le réel existant. Il est aisé de se dire “critique” ; il l’est beaucoup moins de circonscrire un lieu — et de s’y tenir — où ces “lignes culturelles et politiques” sont tenues à distance, où la pensée se conjugue avec une liberté qui fait entrevoir d’autres chemins, d’autres voies. Un Ailleurs. Cette pensée annonce obstinément le “retour des choses politiques”, que le réel existant cherche à recouvrer, pour lui substituer la Nécessité économique ou la Morale. L’écart absolu n’est pas l’“objet” de l’œuvre de Miguel Abensour : plutôt que d’en parler, il serait plus juste de dire qu’elle l’incarne."
Hôpital et modernité
En détresse, sous pression, à bout de souffle, en crise :
Le diagnostic de l’hôpital public fait l’actualité
dans les médias.
Les symptômes du malaise sont décrits à travers
le harcèlement, l’épuisement professionnel,
la perte de sens, en termes
de désengagement, d’absentéisme,
de dépression voire de suicide.
Les causes sont multiples et ambivalentes :
Logique du chiffre, concurrence,
méthodes de gestion, mais aussi
mandarinat du corps médical, hiérarchie excessive,
bureaucratie, individualisme.
Institution républicaine mais également organisation innovante,
l’hôpital public est le miroir des évolutions sociales et
des métamorphoses contemporaines du travail.
Mettre des mots précis sur les nouveaux rapports sociaux
reste un art délicat.
Là est l’ambition de cet essai :
Dès lors que nous cherchons les causes de nos difficultés
et les solutions à nos malheurs,
ressaisir ce qui nous file entre les doigts.
Pour enfin répondre au malaise.