Essai sur l'art
LA CATHÉDRALE DE LA MISÈRE ÉROTIQUE
Kurt Schwitters, oscillant entre constructivisme et Dada, est “le” grand artiste de l’avant-garde allemande. De 1922 à 1937, il construit, dans son immeuble à Hanovre, une “colonne” appelée Cathédrale de la misère érotique ou Merzbau (construction merz) œuvre-phare à l’architecture stupéfiante, exceptionnelle, unique dans l’histoire de l’art, qui invite à entrer dans l’intelligence des conceptions singulières du génie enjoué de l’artiste (collages, peintures, assemblages, poèmes, typographies).
Le destin de K. Schwitters fut brisé par l’exil quand il dut fuir le nazisme. Il mourut en Angleterre en 1948, après avoir recommencé la construction de sa colonne par deux fois.
ESTHÉTIQUE D'UN TRADER
Esthétique d’un trader est un essai sur l’art contemporain, élaboré à partir de l’œuvre de l’artiste américain Jeff Koons dont on ne retiendra ici que les initiales, les œuvres et les déclarations. « Ce sont les regardeurs qui font les tableaux », disait Duchamp. Dans le même ordre idée, on pourrait affirmer que ce sont les institutions, le marché et la critique autorisée qui font les artistes. Qu’aurait alors à proposer celui qui prendrait la liberté de ton et d’analyse pour aller au-delà des apparences et des évidences formelles, des sophismes et des discours convenus, si ce n’est un « essai de critique fiction» - puisque rien n’est vérifiable et que tout est sujet à caution dans l’ordre des sensations ? Il faut bien admettre que prêter des intentions aux objets d’art, leur faire dire explicitement ce qu’ils taisent ironiquement ou cyniquement, est un exercice à haut risque. Fort de la méthode «paranoïaque-critique» initiée par Salvador Dali, Esthétique d’un trader s’aventure dans le dédale des hypothèses et des analogies, des filiations et des ruptures, des héritages et des trahisons. Andy Warhol prétendait qu’il n’y avait rien derrière ses tableaux. Mon œil ! Que recèlent la statuaire métakitsch design plus de J.K. et le coût exorbitant de ses œuvres ? Que dissimule son monde enfantin, optimiste, cool et sympa ? Une autopsie s’impose. Les faits, les bibelots et les déclarations de l’artiste qui inspirent le propos, seront là pour démontrer que la «critique fiction» n’est, en définitive, pas très fictionnelle. L’œuvre de l’artiste-trader n’est qu’un fil rouge ; l’essentiel du propos porte sur les interactions entre économie, art et culture. Ceci étant, on ne va pas nous refaire le coup de la querelle des anciens et des modernes. Ni happy few, ni nostalgique, Esthétique d’un trader prend le parti d’une troisième voie, celle d’un gai savoir - car il faut bien vivre dans le luxe et la dégradation ambiante. La finance, la communication, le mainstream, etc., ont rendu la société néolibérale morose et oxymorique (le désenchantement enchanté, l’aliénation libertaire, le socialisme libéral, le cynisme convivial, la transgression normative…) Faudrait-il ajouter les œuvres d’art les plus courues à la liste des nuisances et des nourritures spirituelles frelatées ? Au terme du procès, ce sera au lecteur de juger.
LA BEAUTÉ DE L'INDIFFÉRENCE
– RÉÉDITION –
À observer l’art du XXe siècle, le ready-made est une pierre d’achoppement contre laquelle il est difficile de ne pas venir buter. S’il fut tout d’abord un objet non identifié par l’art de son temps, il est devenu une référence incontournable pour la création contemporaine qui ne cesse encore aujourd’hui de s’y rapporter. Faire de l’art avec ce qui n’en est pas : voilà la définition aporétique du ready-made qui a été progressivement invalidée par sa postérité. En obtenant une légitimité au sein du champ de la création plastique, l’invention de Marcel Duchamp s’est transformée en un paradoxal « objet-dard » dont l’instabilité semble continuer à inquiéter même si elle a rejoint les musées. Au cœur de ces « coins de chasteté » où toutes les provocations de la modernité ont été rassemblées, le ready-made demeure en effet le lieu d’une césure impossible à résorber. Il a ouvert la catégorie de l’œuvre d’art à ce qui lui était soi-disant le plus étranger lorsqu’elle se limitait encore à l’illusion : la réalité même.
À FORCE DE DESCENDRE DANS LA RUE, L'ART PEUT-IL ENFIN Y MONTER ?
– 3e ÉDITION –
« Quelques réflexions sur cette activité très spéciale qui consiste à poser dans l’espace urbain, ouvert à tous et plus généralement à l’extérieur (bien que des espaces répondant aux mêmes critères puissent également être intérieurs) des objets généralement dénommés « sculptures ». Ces objets sont-ils d’un type défini, reconnaissables parmi les autres objets de la ville ? Quelles significations ces objets ont-ils ? Si le même objet se trouve au Musée, sa signification est-elle identique ? Qui les permet dans la ville ? Où se trouvent-ils placés ? Qui choisit le lieu ?
Ce sont là quelques questions, et des dizaines d’autres, qui m’intéressent au premier chef depuis une trentaine d’années dans le domaine des travaux exclusivement urbains et s’effectuant en dehors des lieux spécialisés que je vais tenter d’aborder, succinctement, ici. »
D. B.
LES FAGOTS DE COURBET
Dans Matisse-En-France, Aragon transcrit ce propos de Henri Matisse : « Il y a deux catégories d’artistes, les uns qui font à chaque occasion le portrait d’une main, d’une nouvelle main chaque fois, par exemple Corot, les autres qui font le signe de la main, comme Delacroix. Avec des signes, on peut composer librement et ornementalement. »
Il y aurait ainsi deux façons de peindre, et, si ce n’est deux peintures antinomiques, du moins deux versants opposés de la peinture : une peinture du signe et une peinture de la ressemblance. Et des peintres qui peignent, les uns, ce qu’ils voient, les autres, ce qu’ils savent ou imaginent...
LÉGENDES DES TAGS
Si la légende est "ce qui doit être lu", nous entreprenons ici de raconter la légende des tags. Cette légende se doit d’être lue à deux niveaux : en tant qu’inscriptions qui “légendent” un décor urbain et en tant qu’histoire structurée par les médias et divers écrits prenant appui sur les sciences humaines.
C’est ce qui a été entrepris ici en consacrant beaucoup de temps à la lecture des tags et, tout autant, à la lecture des écrits sur les tags.
MACHINATIONS
Où est l'oeuvre de Frederick Kiesler ? S'agit-il d'une vaste mystification habilement mise en scène, depuis les années vingt, par cet homme de théâtre, intronisé comme artiste et architecte visionnaire par les rétrospectives et les ouvrages monographiques que lui accorde, depuis dix ans, quelques-uns des plus importants musées d'Europe et d'Amérique ?
Né en 1890 à Cernauti en Roumanie (de nos jours, Chernovtsy en Russie), décédé en 1965 à New York, Kiesler réside à Vienne (Autriche) de 1908 à 1925. Durant cette période, il participe à des productions du théâtre d'avant-garde, et organise une exposition sur ce thème dans laquelle il échafaude une scène expérimentale qui fera, pour plagiat, l'objet d'un procès. Immigré aux États-Unis, janvier 1926, il s'y improvise une carrière d'architecte qui se construira sur des emprunts troublants, sur la publication de manifeste violents annonçant la fin de tendances architecturales déjà révolues, et sur la fréquentation assidue des milieux d'avant-garde New-Yorkais. En scrutant ce contexte Dessauce ouvre des perspectives occultées sur l'évolution de l'architecture moderne aux États-Unis et attribue sources et paternités nouvelles à des projets signés Kiesler.