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POUR UNE POIGNÉE D'ÉLECTRONS
"Dans les textes de Pour une poignée d’électrons, abondamment nourris de son travail généalogique, Yves Stourdzé soutient que les termes qui constituent la communication « sont l’enregistrement de la langue, du temps, du corps ». Il montre que le pouvoir en France s’est toujours méfié de la communication directe entre les gens et qu’il a donc toujours privilégié les techniques de communication qu’il pouvait contrôler ou qui mettent en scène sa prédominance : le télégraphe Chappe et ses stations fortifiées, le réseau ferré en étoile, la presse plutôt que le téléphone, etc. De la même façon le pouvoir privilégie le lourd, le fortifié, la ligne Maginot plutôt que les chars. En France « se distinguent ses Grands Corps et ses Petits Vices, ses notables et ses employés, ses fantasmes et ses espoirs. Pêle-mêle au gré d’une histoire de toile d’araignée technique : le marchand, le politique, l’ingénieur et le fonctionnaire. Et dans un tout petit coin obscur, le client ». C’est pourquoi il est nécessaire de « déréguler en profondeur la société française pour promouvoir l’innovation » et les « dérégulateurs » doivent « avoir sans cesse présents à l’esprit les visages des inventeurs qui, dans le domaine des communications, n’ont eu d’autres choix depuis deux siècles que de baisser les bras… Car un climat propice à l’innovation ne se crée pas d’un coup de baguette magique. Il faut créer les institutions et les stimulants qui offrent à l’inventivité les moyens de son expansion, voire les possibilités d’un recours."
Philosophe et sociologue français, Yves Stourdzé est né à Paris en 1947. Décédé à l'âge de 39 ans en décembre 1986. Il a produit, en un temps (trop) bref, l'une des analyses les plus pertinentes des fondements du pouvoir et du système des grandes organisations ; il a étudié les conditions techniques et institutionnelles de l'innovation dans la société française et les freins auxquels elle se heurte. Universitaire et chercheur distingué, alliant étroitement réflexion et action, il a dirigé pendant les dernières années de sa vie le Centre d’étude des systèmes et technologies avancées (CESTA), vivier et creuset d'idées qui inspira nombre de grands programmes de sociétéet dont la modernité court toujours aujourd'hui.
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Utopiques IV. L'histoire de l'utopie et le destin de sa critique
Miguel Abensour désireux de penser l’utopie à nouveaux frais isole un obstacle majeur à une nouvelle pensée de l’utopie, à savoir la critique marxiste de l’utopie au nom de la science. Il perçoit dans cette formation critique un énoncé dominant qui a pour fonction d’exclure tout énoncé en rupture. Par un retour aux situations énonciatrices, il élabore un autre modèle d’interprétation, un autre paradigme que celui issu de la critique marxiste classique de l’utopie. Pour lui, la véritable matrice critique marxienne n’est pas le couple antinomique de l’utopie et de la science mais plutôt l’opposition découverte en 1843 entre la révolution partielle et la révolution totale. Karl Marx pratique une inversion de la critique bourgeoise de l’utopie, l’auteur des Manuscrits de 1844 invite de façon décisive à distinguer entre les utopies qui ne sont que “l’ombre portée de la société présente” (Proudhon) et les utopies à beaucoup d’égards révolutionnaires qui sont “des expressions imaginatives d’un monde nouveau” (Fourier, Owen). Il s’agit de dévoiler la trajectoire du geste marxien de sauvetage de l’utopie, à savoir la transformation de la question statique de la propriété privée en celle, historique, du rapport du travail aliéné à la marche du développement de l’humanité. Marx n’est donc pas le fossoyeur de l’utopie et ce d’autant moins qu’il a su effectuer une transcroissance de l’utopie au communisme critique. M. Abensour discerne, ici, trois formes de l’utopie : le socialisme utopique, le néo-utopies et ce qu’il appelle le nouvel esprit utopique qui persiste après 1848 jusqu’à nos jours. La critique de l’utopie est la voie privilégiée qui mène à son sauvetage. Comme l’écrit Adorno : “On ne jette pas le bébé avec l’eau du bain”.
La Terre sucre les fraises
Fragments narratifs d'un monde en souffrance, par un homme qui voit venir la mort.
Fragments entrecoupés de dessins, de phrases brèves, de poèmes et d’haïkus buissonniers : quelques échappées libres qui nous emmènent ailleurs…
"Est menaçant, qu’est-ce à dire ? Le ciel est-il azur et cancérigène ? Est-il bien camouflé ? Est-il tout bleu ou brun et bleu, d’éclairs zébré ? De plus en plus souvent derrière les carreaux de ma fenêtre j’aperçois comme un éclat de grenade la brillance furtive de cisailles, de haches, de machettes, de sabres, de métal noir et le silence du tonnerre alors m’asphyxie."
"Nous aimions tant parler des étoiles, de la lune et de la pluie vous et moi, autrefois ! Des vagues et de la neige, des toboggans glacés, de la verdeur des herbes sous la rosée."
PARODIE PARADIS
De nos jours, un système de fonctionnement, tout autant social que publicitaire, amène à nous faire croire que toute chose est à portée de nos mains et que nous serions bien stupides de ne pas nous en saisir. Nous sommes beaux, intelligents, jeunes, performants, et même les personnes se trouvant être des plus défavorisées sont confondues de bonheur. Les roucoulades suavement débitées, montrées et démontrées sur quantité de supports à grand renfort de propos et d’images alléchants nous déroulent un tapis de joies et de plaisirs à faire baver d’envie les plus réfractaires.
Partant de la pub où, au sein d’un environnement et d’une population choisis, se mêlent la célébrité d’un acteur et le goût onctueux d’un café, Denis Guillec s’empare de ces slogans-phrases-scies, dont il n'est nullement l'auteur, et nous restitue à la lettre, sitôt souligné d'anglo-méricain sans lequel nous serions lamentablement has been!, l’acharnement à nous faire, à grand coût de surconsommation, à tout prix voir la vie en rose. What else?
NÉANT
NÉANT, un mot qui prend tant de place de par le vide qu’il nous évoque. Disparition, apparition, être ou ne pas être, là est toujours la question. Martine Wijckaert l’aborde avec des mots forts qui n’ont ni peur du noir ni de la dérision.
Néant 1re entrée : Le monde des morts découvert et inventorié par un garçonnet de six ans.
Néant 2e entrée : Le monde des vivants déstructuré aux dernières heures d’une agonie.
Néant 3e entrée : Le monde des familles passé à la moulinette.
ORDRE ET DÉSORDRES
« C’est obstinément le même but que mon atelier poursuit, à travers les diverses missions qu’il a pu réaliser : déstabiliser les certitudes qui font les architectes héroïques, démontrer qu’un milieu aimable ne peut se constituer qu’en dehors des schémas d’autorités et que les outils modernes (organisation méthodique, industrie du bâtiment, informatique, etc.) peuvent être utilisés à produire des milieux diversifiés. » L. K.
ARCHITECTURES DE SIMONE ET LUCIEN KROLL
"J'ai travaillé sur les tableaux des bâtiments de Lucien Kroll en relisant son livre Tout est paysage. Son concept d'intégration relève d'une économie de l'espace qui est aussi celle de mes tableaux : un rapport du paysage de l'extérieur vers l'intérieur, et inversement." Y.B.
SOIXANTE ET UNE ARCHITECTURES
« Contrairement à la règle des trois unités du théâtre classique, nous cherchons la plus grande diversité pour assurer la plus grande complexité. Elles sont : action, lieu et temps : elles ont été réinventées par les modernistes produisant ainsi un carcan mutilant. Pour atteindre une complexité minimale, il faut les exorciser. Par contre, accueillir des objets qui “n’y appartiennent pas” par leur usage, leur forme, couleur, style, permet de casser l’homogénéité. Renoncer à l’uniformité. Renoncer aussi aux alignements et aux répétitions de formes identiques qui masquent souvent des objets différents. L’homogénéité de ces règles détruit la diversité et la coopération spontanée, aléatoire, dans une action commune entre “personnes” différentes. » L.K.
ORGANISATION, ANTI-ORGANISATION
– Réédition –
« Hautaines, arrogantes, les organisations codifient, quadrillent, centralisent. Du haut de leur puissance, elles dominent le corps social, y inscrivent leur logique et leur ordre. Elles sillonnent l’espace et le temps et ne laissent apparaître aucune zone ouverte où l’évasion soit encore possible. Si nous ne détruisons pas les organisations, elles nous briseront définitivement. Disloquer l’organisation, c’est briser les champs qu’elle innerve et nourrit, c’est inventer un temps et un espace autres, c’est dissoudre les formes de l’équivalence qui nous enserrent et nous emprisonnent, pulvériser le système de signes qui rend la vie monnayable sous forme de salaires et de marchandises, revendiquer un temps sans mode ni plein emploi. Aussi longtemps que subsistera la logique du sacrifice, l’organisation se renforcera ; elle s’écroulera comme un château de cartes, lorsque nous refuserons l’épargne de la jouissance au nom des objectifs planifiés ou des objets consommables. » Y.S.
CHANT D'ELLE
"De jour comme de nuit, et même au gré des rêves qui nous procurent plaisir ou tracas, des tas d’idées nous traversent l’esprit. Le temps qu’il fait, un regard, un croisement insolite dans la rue, un voyage, un livre, une couleur, une forme, des mots, sont le déclencheur qui a pouvoir de nous faire plonger ou replonger en nous-mêmes sur des registres et des tonalités divers où nous explorons ce qui constitue l’ordinaire de la vie tout autant dans sa légèreté que dans ses implications les plus souterraines.
Confrontés à notre personnalité, déjà bien souvent en butte à ses propres dualités, nous avons, au-delà, fort à faire avec l’être en réplique que nous sommes : clones en face-à-face qui, dans un cadre social donné, s’imposent et s’opposent à l’Autre, chacun dans son unicité. L’Autre, ce miroir de soi-même, reflet impitoyable de nos postures, de nos comportements et de nos pensées."
Chant d’elle réunit une série de poèmes dans lesquels J.-M. Sens aborde quelques-uns des thèmes illustrant notre quotidien, dans une langue cinglante qui en appelle aussi, et là où le bât blesse, à parfois savoir rire de nous-mêmes.